
Les émotions de l'apprentissage
Les émotions pédagogiques
Apprendre n’est pas un acte uniquement cognitif, il nous engage aussi émotionnellement. Les questions de stress, de confiance ou de motivation sont très présentes à l’école, mais elles ont moins trait à l’étude en tant que tel qu’à l’évaluation qui l’accompagne. Les émotions pédagogiques en revanche concernent directement l’apprentissage. Voici quelques exemples.
L’auto-évaluation réside dans la capacité à « sentir ». Que ce soit la frustration de ce que l’on ne connait pas, la confusion d’une compréhension superficielle ou encore la fragilité d’une notion mal mémorisée, les apprentissages nous laissent toujours des sensations. Si un étudiant souhaite dépasser la simple évaluation externe de l’enseignant pour devenir plus proactif et apprendre à s’évaluer par lui-même, il devra apprivoiser ce paysage émotionnel intérieur. C’est d’ailleurs par ce biais qu’une mauvaise gestion des émotions peut saboter l’étude : en court-circuitant l’auto-évaluation, nous laissant ainsi dans un apprentissage « aveugle ».
La joie est le moteur de l’apprentissage. Elle est faîte de curiosité et de plaisir, deux éléments au cœur du circuit hormonal dopaminergique. La dopamine, souvent appelée hormone de la motivation, est responsable de cette force interne qui nous pousse à explorer la nouveauté. Négliger la joie dans les apprentissages, reviendrait à éduquer nos jeunes à être passif. L’inviter, c’est cultiver l’envie d’apprendre.
La concentration, c’est la capacité à mettre en lumière une information spécifique et à inhiber ce qui l’entoure. La colère génère une focalisation de notre attention sur l’objet qui l’a déclenché. Si cette colère est au service de sa propre réussite et non contre le système qui l’entoure – que ce soient ses parents ou l’école – elle sera alors une ressource précieuse pour persévérer. Dans ce contexte, on l’appelle en général la détermination.
La tristesse apparait quand nous sommes confrontés à un changement contre lequel nous ne pouvons rien. C’est le travail du deuil qui nous permet d’accepter pour mieux relever. Dans le cadre des apprentissages, cela signifie transformer l’échec en feed-back. Pouvoir embrasser la déception et reconstruire de nouveaux apprentissages plus solides et plus matures, voilà un défi auquel de nombreux étudiants – pour ne parler que d’eux – ne sont pas prêt.
Evaluation & estime de soi
L’estime de soi est un concept piège. A trop vouloir la protéger, nous risquons de transmettre une évaluation approximative en cherchant à atténuer les difficultés et à valoriser les réussites. L’évaluation, c’est un retour sur erreur. Pour participer efficacement à l’apprentissage, elle doit être précise et immédiate afin que l’individu puisse se corriger.
La littérature en psychologie positive est prudente concernant le concept d’estime de soi car l’augmenter peut mener au narcissisme, à un manque d’intérêt pour les autres, une plus grande intolérance face à la différence et une mauvaise évaluation de soi. Le concept de « bienveillance de soi » lui est préférable. C’est la possibilité de garder une image positive de soi-même face à un échec. Cela implique de la part de l’enseignant de réaliser des évaluations claires se limitant aux compétences et connaissances acquises sans porter de jugement au niveau de l’identité. L’élève n’est pas mauvais en mathématiques, il ne maitrise pas certains prérequis nécessaires. Il n’est pas fait pour l’université ou non, il a telle force ou telle lacune à remédier pour être prêt à la transition vers le supérieur.
L’enseignant n’a pas comme mission de percevoir ce dont l’élève sera capable ou non dans sa vie. Et c’est heureux car même le plus expérimenté ne peut jamais être sûr d’avoir perçu les ressources profondes d’un jeune. Le pédagogue Philippe Meirieu rappelle que l’enseignement repose sur le postulat d’éducabilité, c’est-à-dire considérer que tout élève a la possibilité de progresser et d’apprendre. La confiance qu’on accorde aux jeunes n’est pas un pari sur leur avenir, c’est un choix nécessaire pour les accompagner au mieux dans leurs apprentissages.
La peur d’apprendre & le climat d’apprentissage
Serge Boimare a étudié la peur d’apprendre. Dans tout apprentissage, nous rencontrons à un moment donné un « temps de suspension » durant lequel nous sommes confrontés à nos limites. L’information ou la consigne ont été posées mais la compréhension ou la réponse ne sont pas encore accessibles. Ce temps, qui peut durer de quelques secondes à quelques jours, est un passage nécessaire à l’apprentissage. Mais c’est aussi un espace vide qui peut activer nos peurs. Si un individu évite de s’y confronter, une « phobie du temps de suspension » peut s’installer. Sans cette confrontation à l’inconnu de ce que l’on ne comprend pas encore, aucun apprentissage ne peut se faire. Tout est figé.
Dépasser la peur d’apprendre pourrait donc se définir comme la capacité à traverser sereinement ce temps de suspension. Pour cela, nous avons besoin d’un climat positif et sécurisant où l’étudiant a la possibilité d’exprimer son identité.
Autorité, violence & transmission
Respect, liberté, bienveillance, collectif, égalité des chances, etc. On ne peut transmettre des valeurs à nos jeunes par la logique ou des théories à mémoriser. Elles seront oubliées sitôt les examens terminés. Les valeurs sont des graines plantées, entretenues par l’expérience et qui parviendront un jour à maturité pour participer aux humains qu’ils sont destinés à devenir. Pour permettre à ces valeurs d’éclore, l’adulte se doit de les incarner. L’exemple n’est pas le meilleur moyen de convaincre, c’est le seul. Par cette phrase, Gandhi illustre bien l’importance d’appliquer ses valeurs chez soi avant de chercher à les transmettre.
Voilà la démarche d’une autorité saine et sans violence : de la clarté et de la cohérence dans la communication de valeurs par le discours, le non-verbal et l’exemple que nous donnons. L’émotion ressource pour développer cette autorité est la colère.
En effet, si la tristesse et la joie nous ouvre la porte de la connaissance de soi, c’est la colère qui nous permet d’exprimer, de transmettre et de faire respecter nos valeurs. Une colère saine n’a pas besoin de monter le ton de la voix ou de se montrer agressif. Elle transmet des informations non-verbales subtiles perçues inconsciemment par la classe et qui font sentir aux élèves que ce dont l’enseignant parle est important.
La violence – qu’elle soit discrète ou évidente – commence lorsque nous cherchons à contrôler le groupe. Même si l’intention de l’enseignant est de maintenir un cadre d’apprentissage positif pour tous en imposant le silence et l’ordre, la méthode utilisée consiste à prendre le dessus sur les élèves. C’est un jeu de domination qui appelle chez les plus provocateurs des élèves l’envie de tenir tête. Si nous ne savons pas qui gagnera le bras de fer, une chose est certaine : une telle confrontation n’est pas au service de la transmission de valeurs.